Mot du Principal

"... la proposition qui rend possible tous les débats ...”

Daniel Pennac

Extrait de Chagrin d’école, de Daniel Pennac (2007) :

« Redoublement des sanglots, et Nathalie, finalement, d’exposer son malheur entre les hoquets :
-Meu… Meu… Monsieur… je n’a… je n’arrive p… Je n’arrive pas à c.. à
comp… Je n’arrive pas à comprendre…
– À comprendre quoi ? Qu’est-ce que tu n’arrives pas à comprendre ?

L’apTap
Et brusquement le bouchon saute, ça sort d’un coup :
La… proposition-subordonnée-conjonctive-de-concession-et-d’opposition !
Silence. Ne pas rigoler. Surtout ne pas rire. »
– La proposition subordonnée conjonctive de concession et d’opposition ? C’est elle qui te met dans un état pareil ?
Soulagement. Le prof se met à penser très vite et très sérieusement à la proposition en question ; comment expliquer à cette élève qu’il n’y a pas de quoi s’en faire une montagne, qu’elle l’utilise sans le savoir, cette fichue proposition (une de mes préférées d’ailleurs, si tant est qu’on puisse préférer une conjonctive à une autre…), la proposition qui rend possibles tous les débats, condition première à la subtilité, dans la sincérité comme dans la mauvaise foi, il faut bien le reconnaître, mais tout de même, pas de tolérance sans concession, ma petite, tout est là, il n’y a qu’à énumérer les conjonctions qui l’introduisent, cette subordonnée : bien que, quoique, encore que, quelque que, tu sens bien qu’on s’achemine vers la subtilité après des mots pareils, qu’on va faire la part de la chèvre et du chou, que cette proposition fera de toi une fille mesurée et réfléchie, prête à écouter et à ne pas répondre n’importe quoi, une femme d’arguments, une philosophe peut-être, voilà ce qu’elle va faire de toi, la conjonctive de concession et d’opposition !